C’est une crise interminable et inextricable. L’immigration clandestine frappe à l’échelle planétaire et suscite des réactions et des sentiments aussi divers que contradictoires. La compréhension ; si les migrants pouvaient vivre dignement chez eux, ils ne seraient pas contraints de quitter leur pays. Une solidarité fraternelle; face à ces hommes, femmes et enfants qui souffrent beaucoup et sont rejetés de partout, l’on ne peut qu’être solidaires et empathiques. L’incompréhension; tout comme on ne comprend pas nos compatriotes qui se jettent à l’eau, en s’exposant aux dangers de mort pour atteindre ce qu’ils croient être l’eldorado européen, on a du mal à comprendre nos amis africains qui cèdent au chant des sirènes, en sachant d’avance que les chances de succès de leur périple dangereux sont extrêmement minces. La colère, envers les premiers responsables de cette tragédie. L’amertume, d’avoir à subir les conséquences des agissements des autres. Les pays de la rive sud de la Méditerranée et porte d’entrée de l’Europe n’ont pas colonisé les pays africains, ni exploité leurs richesses, n’y ont pas armé des factions ennemies, ni installé des bases militaires, n’ont pas nourri les groupes terroristes, ni ne les ont entraînés. Et, enfin, l’angoisse face à la complexité d’une situation humainement déchirante, qui ne fait qu’empirer, que faire ?
C’est une galère que se partage l’humanité, certains pays plus que d’autres, de par la fatalité de leurs positions géographiques. Et si l’on tente d’appréhender la question du côté d’Internet, à l’aide de mots clés et l’onglet image, ce sont, en effet, les mêmes scènes affligeantes et répétitives qui se déroulent. Migrants Tunisie, migrants France, migrants Italie. Les mêmes barques de fortune surchargées, les mêmes regroupements de personnes perdues et terrifiées, sous un soleil tapant ou dans un froid glacial, les mêmes évacuations de camps, parfois très violentes, à coups de gros engins et de pelleteuses.
Alors que reproche-t-on à la Tunisie ? La rhétorique ? Même pas : «Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde». «Nous ne voulons pas être une race mixte». Ou encore : «L’Europe devra se protéger contre des flux migratoires irréguliers importants». Ce sont des déclarations, de loin les moins virulentes, de hauts responsables européens en exercice. Depuis que l’immigration est devenue un enjeu électoral majeur, on durcit le ton et les lois, on restreint l’accès aux soins. On fait des plans, on érige des murs. On promet aux électeurs la réexpédition de ces hôtes indésirables et insistants vers le Rwanda, par exemple. Et on se fait quelques procès post-mortem pour n’avoir pas secouru une embarcation en danger qui a fini par chavirer.
La Tunisie, elle, n’a pas encore construit de mur antimigrants, ni élaboré une loi de réexpédition vers un pays tiers, mais ne peut ni ne veut jouer les garde-côtes. Donc ni les sourires, ni les chantages, ni les aides timorées et calculées ne vont rien changer.